Le Président de la FIGEC, Charles Battista répond à nos questions sur la crise actuelle et les difficultés économiques à venir. Au-delà des plans de relance gouvernementaux et des initiatives des élus territoriaux, la période va aussi être exigeante sur le plan du financement des entreprises et du respect des délais de paiement. Les sociétés membres de la FIGEC entendent jouer totalement et utilement leur rôle de médiateur financier.
Après des semaines de confinement, l’activité économique repart en France. Comment avez-vous vécu cette période, au sein de la FIGEC ?
Charles Battista, président de la FIGEC : tout d’abord permettez-moi de remercier les collaborateurs et les dirigeants des entreprises de notre fédération et plus généralement chez tous les acteurs économiques. Ils ont su montrer, tout au long de cette période inédite et difficile, leur abnégation et leur sens du devoir, en restant à l’écoute de leurs clients tout en respectant les consignes sanitaires dictées par ce contexte sans précédent.
Les prises de décision du gouvernement, en mars dernier, ont été fortes et à la hauteur des enjeux sanitaires. Comme l’ont été les mesures d’accompagnement pour les entreprises en difficulté, avec la généralisation de l’accès au chômage partiel, la création du fonds de solidarité pour les indépendants et les TPE ou encore, les prêts garantis par l’Etat pour soutenir les trésoreries
Cette idée que personne ne devait rester « sur le carreau » est louable, même si l’on peut regretter quelques excès de précaution. C’est ainsi que des secteurs comme le bâtiment par exemple, ont été mis à l’arrêt quasi-total dans notre pays, alors que chez nos voisins européens, très vite, des solutions ont permis de continuer à faire avancer les chantiers.
Depuis la sortie progressive du confinement, comment se présente la reprise tant attendue ?
Charles Battista : Comme vous le savez, la FIGEC regroupe les entreprises spécialisées dans l’information d’entreprise, la gestion de créances et l’enquête civile. A ce titre, notre fédération est une véritable vigie pour apprécier le principal risque qui pèse sur les entreprises comme sur l’ensemble des débiteurs dans ce contexte exceptionnel, à savoir le risque de défaut de paiement et celui de défaillances.
Très clairement, la reprise est lente et nous voyons plutôt une convalescence qu’un franc retour à la normale. Le plus dur est à venir. Nous allons faire face à une crise économique et sociale d’une ampleur considérable. A ce titre, les dernières prévisions du Ministère de l’Économie et des Finances, qui table sur une baisse du PIB du pays de 11 % pour 2020, sont alarmantes. Sans nul doute, de nombreuses entreprises vont se trouver dans de grandes difficultés, avec à la fois des stocks constitués difficiles à écouler du fait de l’atonie de la demande, et des trésoreries qui ne suffisent pas à surmonter la période et refaire les stocks par exemple pour acheter de nouvelles collections dans le secteur de l’habillement.
Vous êtes à la FIGEC les mieux placés pour évaluer les délais de paiement et les risques de défaillances d’entreprises qui leur sont liés. Comment voyez-vous la situation actuelle ?
Charles Battista : Paradoxalement, il y a eu moins de défaillances d’entreprises pendant le confinement mais c’était parce que les Tribunaux de Commerce étaient fermés ! Malheureusement, cette statistique est en trompe l’œil. En réalité, nous nous attendons à une très forte évolution des défaillances au cours de l’année à venir par rapport à 2019 (53 000 en 2019, NDLR) et sur l’année 2021.
Parmi les éléments alarmants, il y a l’allongement des délais de paiement auquel 20 à 30 % des entreprises vont probablement devoir se résoudre faute de trésorerie. Or nous savons que ces retards de paiement fragilisent encore plus les fournisseurs. Cela concerne non seulement les entreprises déjà malades avant Covid, mais aussi toutes celles qui le sont devenues dans les secteurs de la communication, l’événementiel, l’industrie, le tourisme, la restauration…
Tous ces chiffres et bien d’autres sont tirés d’une enquête que nous avons menée, avec l’expertise de notre partenaire Rexecode, sur la façon dont nos adhérents voyaient l’avenir. Je vous invite à la consulter (en cliquant ici). Elle montre bien l’ampleur de la tâche qui nous attend pour redresser l’économie et justifie amplement les plans de relance qui sont annoncés.
Justement, quelles sont les mesures qui vous semblent souhaitables ?
Charles Battista : nous sommes rassurés de voir que le gouvernement a pris la mesure de l’urgence. L’organisation du second tour des élections municipales dès la fin juin est par exemple une bonne chose car cela va débloquer les initiatives et les investissements des exécutifs locaux, dont on connait l’importance notamment pour le tissu local de PME.
Il faut vraiment encourager ces prises d’initiatives décentralisées. On a vu pendant la récente période des élus locaux réactifs et créatifs face à la crise. Faisons-leur aussi confiance pour la relance de l’économie sur leur territoire.
Nous pensons qu’il faut un véritable « plan Marchall » national pour sauver l’emploi, sécuriser les entreprises, soutenir les secteurs les plus durement touché par la crise, mais aussi et surtout investir dans les secteurs d’avenir. Il est donc essentiel que l’ensemble des acteurs – Gouvernement, Organisations Professionnelles, Syndicales, banquiers, assureurs… s’entendent au plus vite pour construire ce plan de relance, tant attendu par des millions de français.
Parmi les trains de mesures à ne pas manquer, il y a la transition écologique où produire décarboné devient une obligation. Cette évolution vers un nouveau modèle économique et social va modifier profondément notre façon de consommer, de produire, de travailler et de créer des emplois. Il y a aussi la nécessité de déployer plus rapidement l’internet à très haut débit pour désenclaver les zones mal desservies et ainsi mieux accompagner le télétravail quand il est utile. Pour autant, ce mode de travail à distance ne doit pas devenir la nouvelle norme ! Il est essentiel de garder du lien social pour être opérationnel et efficace en entreprise.
Un autre chantier important est celui de la relocalisation de certaines industries dans la mesure du possible. Il sera particulièrement important, dans cet objectif, de former les jeunes aux dernières techniques permettant de rendre ces métiers à la fois attractifs et compétitifs. Il est donc particulièrement important de réussir la réforme de l’apprentissage en cours.
Enfin, et c’est probablement « l’arlésienne », mais simplifions ! Simplifions notre réglementation, nos process, notre administration ! Comment imaginer que nos chefs d’entreprises puissent s’en sortir avec plus de 50 ordonnances publiées pendant le confinement, et qui pour certaines, se contredisent ! L’économie française a besoin de respirer et d’être allégée de tous ces maux administratifs !
Pour exemple, nous avons interpellé la Ministre de la Justice, sur le fait de « profiter » de cette période pour devancer la date de la mise en place des pilotes concernant le dépôt d’injonctions de payer dématérialisées, dans le cadre de la JUNIP (juridiction nationale de traitement dématérialisé des injonctions de payer) qui devait se mettre en place au 1er janvier 2020. Malheureusement, c’est le contraire qui va se produire ; le projet étant décalé de 9 mois !
Pour terminer, quelles actions peut engager la FIGEC et ses membres pour que les délais de paiement ne deviennent pas un véritable poison pour l’économie et sa reprise ?
Charles Battista : Notre rôle de « médiateur financier » va devenir encore plus essentiel, non seulement auprès des grandes entreprises qui négligent leurs « petits » fournisseurs mais aussi, et c’est nouveau avec la crise actuelle, entre les PME qui ne se font pas de cadeaux entre elles. Nous avons actuellement 65 % des paiements qui sont en retard, soit 450 milliards d’euros environ de crédit inter-entreprises !
Comme nous l’avons fait jusqu’ici, nous jouerons ce rôle en valorisant les bonnes pratiques, en cherchant des solutions ensemble et en récompensant celles des entreprises qui respectent le mieux les délais, par souci de préserver la santé de leurs fournisseurs.
Les « Assises des délais de paiement », que nous organisons avec l’AFDCC, ont montré la prise de conscience des acteurs. C’est sur cette base positive qu’il faut s’appuyer pour aller de l’avant. Je reste persuadé de la valeur intrinsèque de nos entreprises et de l’importance de la qualité des relations entre clients et fournisseurs pour sortir, au plus vite et au mieux, de cette période difficile.